Né le 8 novembre 1836 à La Havane (Cuba) de parents « gens de couleur » affranchis, Severiano de Heredia s’installe très jeune en France, terre de stabilité et d’émancipation depuis l’abolition de l’esclavage en 1848. Brillant élève au prestigieux lycée Louis-le-Grand, il remporte en 1855 le grand prix d’honneur, avant d’hériter de la fortune de son père, Ignacio de Heredia .
Devenu journaliste et critique littéraire et artistique, il est naturalisé le 28 septembre 1870, puis s’engage en politique, à un tournant décisif pour la jeune IIIᵉ République, en tant que radical et laïque. Élu au conseil municipal de Paris en avril 1873, il deviendra président du conseil municipal de Paris en 1879. Fait historique : il est reconnu comme le premier homme noir à diriger la capitale d’une grande ville occidentale, puis premier noir à exercer une fonction ministérielle en Europe lorsqu’il est nommé ministre des Travaux publics en mai 1887.
Pendant ses mandats (député de 1881 à 1889 et ministre en 1887), Severiano de Heredia se distingue par son progressisme : il milite pour l’instruction obligatoire et présidera 4 ans durant la philotechnique - université populaire et ouverte, est engagé pour la condition féminine et le droit de vote des femmes, pour la limitation du temps de travail. Ce sera l’initiateur des bibliothèques municipales. Il sera le ministre des travaux publics pendant la construction de la Tour Eiffel. Franc-Maçon, Severiano de Heredia deviendra vénérable de la loge Etoile Polaire du Grand Orient de France, l’une des plus influentes à son époque.
Plus tard il s’engage aussi dans les premières expérimentations sur la voiture électrique, visionnaire pour l’époque.
Severiano de Heredia est un homme public, engagé, progressiste, influent et porteur des innovations et des transformations sociales et culturelles des plus importantes de la IIIe République, qui font toujours la France d’aujourd’hui.
Pourtant, vers la fin de sa carrière, un profond revirement s’opère : en 1885 à la partition coloniale de l’Afrique entre les empires français, britanniques et allemandes, la France connaitra une montée des idées réactionnaires en France, un racisme d’Etat s’instaure et le ciblera ouvertement pour sa couleur ; on le qualifie de manière houleuse de « Nègre du ministère », « ministre chocolat », ou encore « nonchalant créole ». Battu aux élections de 1889 et 1893, il se retire de la vie publique pour se consacrer à la littérature.
Il meurt le 9 février 1901, laissant derrière lui un remarquable héritage politico-social, mais aussi une amère conclusion.
Au moment même où l’État français se structure, un racisme d’État affirmé l’exclut et le renvoie à ce qu’il était : un homme noir dans une France qui refusait encore pleinement de lui accorder la place qu’il avait méritée. 125 ans plus tard.
Il symbolise une France qui ne reconnait toujours pas son passé, laissant des plaies ouvertes dans la société multiculturelle française.